Scoopé par Le spectateur de Belleville sur Revue de presse théâtre
Posté le 30 mars 2022
LE SEL DE LA VIE, d’après l’œuvre de Françoise Héritier, mise en scène de Marie Potonet
L’anthropologue, François Héritier (1933-2017) est connue pour son immense et précieux travail scientifique. Or, grâce la metteuse en scène, Marie Potonet et à l’actrice Florence Payros, ce spectacle nous invite dans un tout autre univers : « C’est une fantaisie, née au fil de la plume, de l’inspiration », premiers mots de ce récit. Une histoire singulière inspirée par : « Quelqu’un que j’aime beaucoup, le professeur Jean-Charles Piette (…) Une carte postale d’Écosse (…) Une semaine « volée » de vacances (…) ». Un véritable pas de côté dans le parcours intellectuel et littéraire de Françoise Héritier.
A partir de choses simples ou plus surprenantes – les multiples facettes de l’existence – l’auteure ouvre la porte à l’imaginaire et à l’émerveillement. Ce spectacle hors du commun peut avoir lieu à l’intérieur ou à l’extérieur, nous sommes conviés à l’écoute et à la contemplation d’un véritable tableau vivant. Poétique, en rythme et sons, la sobre mise en scène et l’interprétation sensuelle et délicate, de Florence Payros, nous saisissent d’étonnement, de joie et d’une douce tristesse. Le tragique n’est pas loin, c’est seulement ainsi que la beauté de l’existence et sa magie peuvent être au rendez-vous.
Remarquable énumération de ces instants saisis à la volée qui touchent notre cœur et notre conscience. Subtilité et densité de l’écriture, si vivante, impertinente parfois, rêveuse ou tranchante : « Être imperméable à la perfidie de certains propos», «Suivre le vol d’une seule hirondelle au milieu des autres», «Donner solennellement du Monsieur à un adolescent», «S’attrister parce que les galets perdent leurs belles couleurs en séchant »…sans oublier la réalisation d’une tarte aux pommes: un délice offert au public, à la fin de la représentation. Ici, la parole littéraire du poème laisse jaillir une théâtralité inattendue. Une invitation à une pure danse des mots… Florence Payros, avec sa voix, ses gestes sensibles, la grâce de son corps, donne vie à l’écriture de Françoise Héritier sans aucun pathos, avec intelligence et émotion.
Le public, dans un silence absolu, reçoit dans toute sa plénitude cet hymne à la vie. Aucune naïveté ni mièvrerie au cœur de cette suite d’images et de sensations. La beauté et la sensualité de ces moments furtifs, à la fois taquins ou émouvants, dans une langue simple et juste, laissent advenir à travers le jeu plein d’esprit de l’actrice, entre fragilité et force : « Ce petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie ». Et qui, nous échappe souvent dans notre société consumériste et notre course effrénée. C’est aussi, en effet, une réflexion sur le temps ou comment ne pas le laisser s’échapper, en se projetant sans cesse dans l’avenir ou/et les illusions. Soudain, au fil des phrases, les pensées des Essais de Montaigne (XVIème siècle) notamment celles dans le Livre III, chapitre 13, nous font signe. Comme un rappel salutaire : la richesse du temps dans toute sa profondeur va de pair avec toutes les expériences de la vie. Ici et maintenant ! Nous sommes là, un siècle plus tard, loin de celles d’un autre grand penseur, Pascal (XVIIème siècle), pour qui le bonheur ne pouvait pas exister en ce bas monde mais, seul, dans l’au-delà.
Ce spectacle jouissif, sensible, et la mise en scène de Marie Potonet offrent au texte, la possibilité de compléter, cette « fantaisie ». Ils laissent découvrir aux spectateurs tout autant une démarche intellectuelle qu’un mode de vie. Belle ouverture et révérence à la l’existence…
En ces temps d’inquiétude, Merci à Françoise l’Héritier et aux artistes de la compagnie pour 9 muses !
Élisabeth Naud
Docteur en Sciences Esthétique et Technologie des arts
Enseignante en Théâtre – Université Paris 8
Conseillère artistique – Critique